Il somnolait sur son strapontin, tout au bout du couloir, bercé par le roulement métronomique des joints de rail…
Le téléphone intérieur, placé juste au dessus de lui, sonna…
"Je voudrai du caviar, et une bouteille de champagne… le meilleur, vite, cabine 5…."
C'était à la fois un ordre et un soupir…
Il se hâta dans la "Cuisine" remplit un saladier, sortit de la glacière une bouteille millésimée …
(Dans ces wagons, tout était prévu pour satisfaire les voyageurs les plus exigeants!)
Une serviette immaculée sur l'avant bras, il avança dans le couloir en portant un grand plateau d’argent au dessus de sa tête. Le roulis du train ne troublait en rien l’équilibre parfait de la bouteille, des verres en cristal, du service, du saladier, chaque pièce gravée aux armes de la compagnie !
Arrivé, le Conducteur rentre les épaules, redresse la tête, lisse sa moustache, tire sur le bas de sa veste et frappe doucement sur la porte d’acajou du compartiment 5.
‘’Entrez"
Il entre, le temps de s'habituer à la faible lumière de la veilleuse de Baccara bleu il l’aperçoit…
Elle est allongée tatalement nue sur le lit…
Elle le regarde avec impertinence, la couverture gris souris, marquée CWL est tombée au sol, comme un tapis de cérémonie !
Il la reconnait, on ne parle que d’elle, c'est la star du temps, elle vient de tourner "les Amants de Vérone" avec Pierre Brasseur … C’est Martine Carole !
20 ans plus tard il racontait, chaque 24 décembre avec la même constance, son histoire, et nous en riions toujours…Il jurait qu'il s'était strictement tenu à son rôle de "Conducteur", garant du prestige de la CWL; responsable d’un wagon de luxe, mais personne n’était dupe !
Cette petite étincelle au fond de ses yeux, était ce seulement le reflet des lumières de Noël…